LES ÉCHOS DES PONTONS

De Fort de France à La Rochelle, les entraînements d’hiver du Club de Voile Deux-Montagnes

Le monde du sport est fait de rencontres, d’amitiés et de solidarités. Pour Carmen Denis, entraîneure de haut niveau depuis
25 ans et responsable du programme Sport-études Voile et de l’équipe de compétition au Club de Voile Deux-Montagnes (CVDM), il n’y a rien de plus stimulant et de plus instructif pour de jeunes athlètes que d’aller voir ce qui se passe ailleurs. Passer de la navigation sur le lac des Deux-Montagnes aux conditions des Pertuis rochelais constitue un authentique choc psychologique tant les environnements physiques sont différents. Et c’est sans parler du port de plaisance des Minimes, le plus grand port d’Europe avec ses 5 000 embarcations, qui mettent la table pour des sorties où l’on n’est pas seul sur le plan d’eau. Le CVDM a mis en place depuis neuf ans un programme d’échange avec ce qui est devenu aujourd’hui La Rochelle nautique, un des quatre pôles d’entraînement

de l’équipe de France de voile avec Brest, La Baule et Marseille. En retour, un moniteur rochelais est invité chaque année pour un séjour au CVDM. Le carnet d’adresses bien fourni de Carmen Denis a ouvert bien des portes et des possibilités aux jeunes athlètes du Québec qui se déplacent pour un stage outre atlantique. Ils profitent sur place de tous les équipements sportifs de ce centre d’entraînement inauguré l’automne dernier. Le Pôle nautique met à disposition des embarcations pour des sessions d’entraînement avec leurs camarades français. «On nous accueille à La Rochelle les bras ouverts» témoigne Carmen. La région ne manque pas d’offres résidentielles de courte durée pour l’hébergement des jeunes québécois. « Le clapot et les courants des plans d’eau rochelais sont à des années-lumière des conditions de la rivière des Outaouais », fait remarquer l’entraîneure. Ces stages

hivernaux qui s’adressent autant aux athlètes qu’aux jeunes instructeurs sont bienvenus compte tenu de la courte saison de navigation qui caractérise le Québec et du faible nombre d’heures de navigation qui en résulte. Outre les différences physiques des plans d’eau, ces stages ouvrent l’esprit à des pratiques et une culture d’entraînement bien différentes des méthodes nord-américaines. « Les jeunes Français manœuvrent comme des anges. Ils bénéficient d’une pratique sans interruption. Nous Nord- Américains, nous exprimons nos forces à travers l’analyse tactique et la préparation mentale. Ce sont des échanges de culture sportive très ouverts », fait valoir Carmen Denis. Fort-de-France en Martinique est un autre de ces séjours d’entraînement d’hiver mis sur pied par le CVDM. Le stage de 15 jours débute par une semaine d’entraînement qui se poursuit par la Semaine Nautique

Internationale de Schoelcher qui regroupe 200 concurrents, notamment avec les nouvelles séries iQFoil et Wing Foils. La baie de Fort de France est un plan d’eau bien ventilé par l’alizé qui souffle sans discontinuer et qui présente des conditions assez musclées dès qu’on s’éloigne de terre d’où arrive le vent d’est. « Ces expériences sur des plans d’eau différents, dans des cultures sportives distinctes

Au Pôle nautique de La Rochelle, on a mis au point un outil permettant de mesurer
les mesures optimales individuelles de rappel et de les monitorer dans le temps.
©Carmen Denis

Le Pôle nautique de La Rochelle inauguré en 2023.
©Ouest France

ouvrent la curiosité et l’esprit des jeunes. Ceux qui deviendront instructeurs transmettront à leur tout leurs connaissances. Mon travail consiste à en faire de meilleurs entraîneurs », conclut une Carmen bien allumée pour qui le coaching est autant une vocation qu’une passion.

Le carnet de bord de Zoe Miller

Zoe Miller est une jeune athlète de 11 ans qui navigue en Optimist. Elle fait le récit d’un voyage d’entraînement de deux mois qui l’a


menée à La Martinique, en Espa-
gne à ses entraîneures Carmen Denis du CVDM et Tine Moberg-Parker du West Vancouver Yacht Club.

paient constamment, comme Tine nous l’avait dit à San Francisco. C’était comme naviguer avec vingt vers frétillants – ou dix-neuf vers frétillants et une pomme de terre canadienne déconcertée. La pomme de terre est d’accord avec toi, Tine, on ne bouge définitivement pas assez, et je sais ce que tu voulais dire maintenant.

Au retour de mon voyage en Europe, j’ai réfléchi à la façon dont cela m’a non seulement aidé à devenir un meilleur marin, mais aussi à la façon dont je perçois le monde. J’ai eu l’occasion de voir l’autre bout du monde. J’ai vécu des moments et des défis mémorables, j’ai vu la différence entre le Canada et l’Europe et j’ai vécu une expérience merveilleuse dans son ensemble.

pas toujours obtenu les résultats espérés, vous m’avez appris à rester positive et à analyser chaque course de manière constructive. C’est là que j’ai reçu mon premier trophée international, c’était vraiment génial. Visiter la Martinique m’a ouvert à la différence culturelle entre notre pays et les îles françaises des Caraïbes. Musique, défilé où les enfants avaient des couronnes de flammes en papier sur la tête : une découverte de la culture martiniquaise. Naviguer en Martinique avec Carmen aura été le meilleur souvenir de mes deux mois de navigation.

J’ai eu beaucoup de difficultés… et
comme j’en arrachais, et que je n’étais pas au niveau, l’entraîneur a essayé de me virer de l’équipe. Au début, il ne me laissait pas
m’entraîner avec des coureurs de niveau supérieur et il ne me donnait pas de retour d’information. J’ai donc dû me battre pour me faire une place. J’ai insisté pour que l’entraîneur me laisse naviguer avec les meilleurs et je lui ai demandé de me faire
part de ses commentaires. Ensuite, j’ai pu m’entraîner avec les meilleurs, j’ai reçu des retours et j’ai réalisé que les jeunes européens, du moins les meilleurs, sont durs et effrayants !

La Martinique, le début d’un voyage
de deux mois
Cette île est spéciale… et pour une
introduction au fonctionnement de
l’Europe, je ne pouvais pas demander mieux. Carmen, tu m’as appris la voile, la fixation d’objectifs, la vie de navigatrice.
L’un de mes exercices préférés : regarder davantage autour de moi. Une pratique très intéressante et j’adorais t’entendre
chanter sur le bateau. La régate était amusante ! Chaque
jour, je revenais heureuse. Même si je n’ai

Ma formation suivante en Espagne
J’ai découvert la façon dont les
Européens s’y prennent… et j’ai été mis en contact avec de jeunes européens coriaces. Je m’entraînais avec l’équipe des Pays-Bas,
un entraîneur belge et un autre tchèque. Les jeunes hollandais pratiquaient un meilleur rappel, viraient mieux et ils pom-

Valence présentait le niveau le plus
élevé et le vent le plus fort de tous les plans d’eau où je suis allé. Lors des sessions d’entraînement, il y avait des jeunes venus de Belgique, de France, de Grande-Bretagne, des Pays-Bas et… du Canada. Les entraîneurs m’ont appris quelques techniques de navigation dans la brise,

notamment le rappel, que je ne parvenais pas vraiment à mettre en pratique, mais je m’entraîne pour devenir plus forte. Partout, les entraînements m’ont fait
comprendre ce que signifie une équipe. Quand on se présente quelque part et que l’on sait qui sera là, c’est toujours un privilège. Les régatiers de West Vancouver ont une équipe sur laquelle ils peuvent toujours compter et qu’ils connaissent bien. C’est quelque chose de très appréciable. Lors de la compétition Opti Orange à Valence, je ne connaissais pas le niveau des compétiteurs jusqu’à la première marque au vent… où j’ai réalisé que les leaders étaient presque à la bouée suivante ! Les départs étaient tout un défi, mais j’ai essayé à chaque fois de partir en première ligne, même si je n’y suis pas parvenu à chaque fois. Les deux derniers jours de régate ont été fous. Le vent soufflait à vingt nœuds, avec des rafales à trente. J’ai mis mon gouvernail sur ma voile pour la maintenir en place et elle s’est quand même envolée. Le comité de course nous a laissé naviguer le premier jour, mais ma flotte n’est sortie qu’une quinzaine de minutes avant de rentrer ! Ce n’était que le premier jour de vents orageux, à tel point que le lendemain, nous ne sommes même pas sortis. Étant presque toujours dernière dans la plupart des courses, c’était difficile de continuer à courir à mon meilleur niveau, mais j’ai fait de mon mieux à chaque course. Le séjour à Valence ne m’a donc pas seulement appris à naviguer, il m’a appris la persévérance et la patience. Le jour de congé, nous sommes allés sur la place principale où se déroulait la fête des Fallas, l’une des plus grandes

fêtes de la région où il y avait tellement de monde ! Les Valenciens sont très gentils,
leur culture est colorée et joyeuse. Tout cela a représenté dans l’ensemble une belle aventure !
Lac de Garde, Italie
À Garda, j’étais nerveuse au début, à cause de toutes les histoires folles dont j’avais entendu parler. Le premier jour, il y avait un vent du sud, très fort. Je suis sortie et j’ai enfourné, c’était ma bienvenue à Garda. Le lendemain ne ressemblait en réalité pas du tout à ce qu’on s’attend habituelle- ment du lac de Garde avec un vent du nord. Habituellement, le vent du nord est faible ici, alors au bout de deux semaines de vent du nord, j’ai compris que ma vraie journée type du lac de Garde était la première. Nous avons eu une semaine d’entraînement suivie de quatre jours de régate. Nous étions un groupe important d’une quarantaine de jeunes ou peut-être même plus, mais ça tombait bien pour s’entraîner. Il y avait tellement de jeunes venus de différents pays! Suède, Danemark, Allemagne Brésil, Japon, Singapour, Hong Kong, États-Unis et… Canada ! Nous étions si nombreux que je n’ai pas eu beaucoup de retours et j’ai vraiment bataillé. Carmen et Tine, vous m’avez toutes les deux aidé tous les jours. Je vous posais des questions et vous arriviez avec la réponse le jour suivant. C’était comme vous étiez là chaque jour pour moi. Tine m’a expliqué comment passer dans le clapot. Le lendemain, j’ai pu expérimenter la technique. Toutes les deux, vous ne m’avez pas lâché de tout le voyage.

L’avant-dernier jour d’entraînement,
je suis tombé malade. Je voulais sauter la formation facultative d’une demi-journée, car elle était trop proche de la régate. Mais
à la dernière minute, j’ai décidé d’y aller, malade ou pas. Garda a fini par me montrer comment m’en sortir, même quand c’est
dur. La régate a été une expérience mémorable. Un millier de bateaux sur l’eau, ce n’est pas de la blague. J’ai regardé autour de moi et le lac était tapissé d’Optimists. Chaque flotte individuelle est plus grande que celle de nos nationaux ! Il y tant de jeunes qui pratiquent la voile en Europe. Riva del Garda était pleine de jeunes navigateurs. Nous les rencontrions partout, au supermarché, au restaurant dans le hall de l’hôtel. Tout au long du voyage, j’ai appris des techniques et des stratégies de navigation, mais j’ai aussi appris des choses sur le monde. J’ai pu découvrir d’autres cultures, découvrir de nouveaux endroits et m’amuser en plus de tout cela. Ce voyage est le moment où je suis vraiment sentie reconnaissante pour ma formation à San-Francisco avec Tine. San Francisco m’a donné une confiance et une persévérance qui sont utiles à presque tous les moments de ma formation, tant en Europe qu’au Canada. J’espère qu’en partageant mon expérience, d’autres jeunes navigateurs pourront en tirer un enseignement. Je tiens à vous remercier, Tine et Carmen, de m’avoir à ce point inspiré et j’espère qu’un jour je pourrai naviguer au même niveau que vous l’avez fait pour le Canada.

Zoe Miller

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