Des bateaux de course en contreplaqué bas carbone

Un cabinet d’architecte français lance un pavé dans la mare du monde de la course au large

En février 2024, Voile Magazine publiait un article sur un projet d’IMOCA en bois par l’équipe du cabinet Gildas Plessis Yacht Design. Chiffres à l’appui, le quatuor d’architectes constitué de Ghislain Bée, Yannick Eudeline, Raphaël Gillet et Gildas Plessis présentait un projet d’une coque en composite de bois n’accusant que 500 kg de plus sur la balance qu’un IMOCA tout carbone, un écart pondéral d’à peine 5%. Peut-être encore plus surprenant, une première approche de performance liée à l’écart de déplacement, pour un dériveur, ne concédaient qu’un écart défavorable de 2% de cet IMOCA bois par rapport aux autres dériveurs (soit 2 à 3 jours d’écart, à formes équivalentes).

Le chiffre le plus spectaculaire, véritable motivation de l’équipe d’architectes, tenait au bilan carbone de toute l’affaire : un gain de plus de 300 tonnes. D’après les données de Plessis Yacht Design, via la base de données de la transition écologique (ADEME) et du rapport CO2 de l’écurie 11th Hour Racing, la construction d’un foiler 100% carbone génère 538 tonnes de CO2 alors qu’un composite de bois s’en tire à 200 tonnes. Toute une différence.

Gildas Plessis rappelle les cibles de réduction de GES contenues dans l’Accord de Paris : baisser les émissions de 30% d’ici 2030. Son cabinet, certains coureurs au large dont le collectif La Vague1ainsi que la Fédération Française de Voile pointent ainsi le vilain bouton sur le nez de l’industrie nautique, et plus particulièrement sur celui des écuries de course au large : « Et vous les copains, vous faites quoi pour réduire votre bilan carbone? » Silence dans la salle, à peu près tout le monde baisse les yeux en regardant le bout de ses chaussures….

La question fait mal et évidemment elle dérange. Comment en serait-il autrement? La fibre de carbone représente l’indispensable matériau de la mise en œuvre des unités de pointe. Consciente des enjeux environnementaux et sociétaux, l’industrie chimique s’est lancée dans la recherche et l’élaboration de nouvelles fibres moins polluantes, mais personne n’a encore trouvé de véritable substitut. Le basalte représente une avenue prometteuse, mais ses qualités mécaniques ne sont pas à la hauteur de la magique fibre noire. Serions-nous alors dans une impasse faute de matériaux suffisamment performants pour relever le défi de la sobriété tout en continuant à produire des coques capables de tourner autour du monde à la voile en un peu plus de 60 jours?

Heureusement, la réponse est négative. L’une des principales pistes de solution est relative aux méthodes de construction. Pour fabriquer un IMOCA, on en construit en réalité deux, ou presque. Si l’on se rapporte au bilan précité de 538 tonnes de CO2 pour lancer un bateau du Vendée Globe tout neuf, on engloutit préalablement 172 tonnes pour le montage du moule, soit 32% du total. Toute une facture environnementale, sans parler ce celle qu’il faut régler par chèque.

La proposition de Plessis Yacht Design est finalement très simple. Puisque la construction sur un mannequin de contreplaqué ne requiert pas de moule, on peut donc fabriquer un IMOCA dans un composite de bois, de fibres de basalte, de carbone et d’époxy biosourcée à 30% (Greenpoxy). Dans l’exemple citée dans le papier de Voile Magazine, Gildas Plessis évoque les 69 tonnes de CO2 émises pour chaque tonne entrant dans la construction d’un IMOCA tout carbone. Le projet de prototype de son cabinet réduit la note à 20 tonnes, gréement inclus. Pour la coque pontée seulement, hors gréement et appendices, le différentiel est encore plus parlant avec un ratio de 1 pour 10 : 15,5 tonnes de CO2 pour le composite de bois et 154 tonnes pour le composite de carbone.

Entre enthousiasme et scepticisme

Dans l’écosystème français de la course au large, « le pari fou d’un IMOCA en bois » avait tout le potentiel nécessaire pour susciter un solide débat autour de l’empreinte environnementale de la discipline. Imaginez l’effet qu’aurait l’obligation d’afficher aux yeux du public le bilan carbone des concurrents sur les pontons des Sables d’Olonne. « Bonjour, je m’appelle Paprec-Virbac, je mesure 18,28 m, j’ai coûté 7 millions € et j’ai généré 550 tonnes de CO2 pour être au départ ». De quoi démolir durablement l’image bien lisse de la grande aventure humaine autour du monde.

Coureurs, chantiers, commanditaires et organisateurs de courses ont bien compris que tôt ou tard, il faudra engager une démarche de responsabilisation de la course au large face à ses impacts et ses responsabilités sociétales. D’aucuns espèrent discrètement que le plus tard serait le mieux…. Ces extraordinaires engins capables d’aligner des moyennes ahurissantes de 25 nœuds sur 24 h par le simple souffle du vent sont d’authentiques machines à rêver. Désormais délivrées du théorème d’Archimède, elles volent comme des oiseaux, mais elles sont plus que jamais profondément empêtrées dans la pétrochimie jusqu’aux barres de flèche.

L’idée d’un IMOCA bas carbone a fait son chemin suffisamment rapidement depuis février 2024 pour que trois coureurs au large lèvent la main et lancent des projets de construction pour l’échéance du Vendée Globe 2028 avec le cabinet Plessis Yacht Design. Parmi eux, Marc Thiercelin, 64 ans, qui, après quatre Vendée Globe, veut boucler sa carrière « en écrivant une nouvelle histoire ». Comprenez, tirer la course au large vers des pratiques plus sobre en énergie. Stéphane Le Diraison est un autre mousquetaire de la décarbonation qui ne se gêne pas pour pointer du doigt « l’augmentation d’émissions de 80% de CO2 dans la construction des bateaux du Vendée Globe depuis 10 ans ». Une phrase qui sonne un peu comme un acte d’accusation. Il continue sur le même ton : « Aujourd’hui on ne peut plus se cacher derrière son petit doigt et affirmer que la voile est un sport vertueux uniquement parce que les bateaux sont poussés par le vent. Il faut voir la réalité en face et proposer des solutions de construction et de fonctionnement moins polluantes ».

À l’autre bout du spectre, d’autres mettent en doute les données du cabinet Plessis quant aux capacités de résistance du bordé de bois composite sur un foiler qui heurte violemment la surface de l’eau lorsque le vol s’interrompt brusquement. Rien pour ébranler l’équipe de Gildas Plessis qui a fait ses devoirs. « Le cabinet conseil GSea Design2 à Lorient a pour le moment validé nos hypothèses d’entrée quant au slamming (les chocs sur les fonds). Elles sont conformes à ce que les fibres optiques mesurent à bord. On a poussé l’étude structurelle de la phase d’avant-projet. En 2025, on lancera le processus d’étude par éléments finis qui feront tourner des centaines de paramètres pour définir les meilleurs périmètres et les choix géométriques. Tout y passera du gréement jusqu’aux foils. On va appliquer les mêmes paramètres de charge que les foilers les plus performants, soit des pressions de 45 à 50 tonnes/m2. C’est phénoménal! Ça représente une colonne d’eau de 50 m de hauteur sur 1 m2 de bordé. Pour le moment, nos calculs nous donnent des résultats probants et sérieux ».

Gildas Plessis a réalisé beaucoup de projets en bois composite. C’est un sujet qu’il connaît très bien et un matériau qu’il affectionne. Il sait par expérience depuis longtemps que le contreplaqué n’est pas un matériau tout juste bon à faire des étagères. Il pointe l’avantage du contreplaqué par rapport aux sandwichs de mousse qui s’écrasent sous la pression. L’âme travaillante du contreplaqué est plus raide, capable de résister à de gros efforts de cisaillement.

Sur les petites unités comme les 6,50 m, le contreplaqué est encore plus dans le coup. Sur le Greenscow que son partenaire Yannick Eudeline va mettre à l’eau cette année, la surcharge pondérale par rapport à un 6,50 m tout carbone n’est que de 40 kg. Un facteur de performance presque négligeable pour un gain de 300% du bilan carbone. Des chiffres qui donnent sérieusement à réfléchir…

Repenser la façon de construire les bateaux de course

« On a des trous de mémoire culturelle dans la construction en bois » lance Gildas Plessis. « Le Pen Duick II qui gagne la Transat anglaise en 1964 est un bateau en contreplaqué; on n’invente rien ». La démarche de Plessis Yacht Design n’a rien de dogmatique. Il faut appréhender le concept comme une proposition de décarbonation s’appuyant sur les qualités mécaniques du contreplaqué afin d’explorer de nouvelles méthodes de mise en œuvre où la fibre de carbone sera encore très importante, mais utilisée de manière plus sélective dans un objectif de sobriété.

Les IMOCA en composite de bois conserveront la fibre de carbone sur des points structurels soumis aux plus fortes charges : puits de foil, tête de quille, cadènes, renforts d’outriggers, cloison de pied de mât, dérives et foils. On envisage une utilisation filamentaire de la fibre là où il est possible de le faire. Sur les renforts de cadène par exemple où la fibre de carbone sera déposée sur les cloisons de la même façon que l’on lamine les fibres de kevlar sur une voile en 3DI. On réfléchit aussi activement à un drapage composite basalte/carbone. Ces chantiers sont appelés à imaginer, développer et tester de nouveaux procédés. Ils revêtent par la force des choses un caractère expérimental motivé par une volonté d’innover en plaçant la sobriété sur les premières lignes du cahier des charges. La mise en œuvre sera probablement très décentralisée avec une construction par modules confiés à différents acteurs en fonction de leurs expertises respectives, et de leur motivation à tenter l’expérience.

Le téléphone a beaucoup sonné ces derniers temps au cabinet de Plessis Yacht Design. Plusieurs écuries de premier plan et des leaders de la construction d’unités de compétition sont piqués au vif par cette nouvelle proposition et curieux d’en apprendre plus. Ces réactions sont dans l’air du temps parce que l’image publique de la course au large est au cœur du débat. Et si le monde de la compétition se fixait de nouveaux objectifs où la réduction des GES devenait la valeur cardinale ? Un défi passionnant pour l’armée d’architectes, d’ingénieurs, d’informaticiens et de techniciens spécialisés qui gravitent dans la sphère de la course au large. Peut-être qu’après une bonne discussion au Bar de la Marine, ils finiront par trouver le contreplaqué sexy après tout….

Michel Sacco
Pour Voile Québec

ILLUSTRATIONS

1- INTRO Imoca Squelette

2- Structure Imoca

Avant-projet structurel d’une coque d’IMOCA dotée de cloisons en contreplaqué.

Crédit Plessis Yacht Design

3- Photo l’équipe

L’équipe de Gildas Plessis Yacht Design à Lorient. De gauche à droite, Yannick Eudeline, Ghislain Bee, Gildas Plessis et Raphaël Gillet.

4- GS 40 Greenscow

Greenscow, un projet de Class 40 en composite de bois chez Kaori Concept.

Crédit Plessis Yacht Design

5- Membrure et cloison

Construction d’un 6,50 m en composite de contreplaqué au chantier Kaori Concept. On aperçoit les cloisons prêtes au montage sur le côté droit et au fond de l’image.

Crédit Plessis Yacht Design

6- Mini 650

Le schéma d’un 6,50 m en composite de contreplaqué en cours de réalisation pour Yannick Eudeline. On voit bien sur cette image que le contreplaqué permet de réaliser des étraves de scow.

Crédit Plessis Yacht Design

fr_CAFR
Scroll to Top